Le cas du Sud des Landes
Des éco-paysages pour une mobilité réinventée
Espace d’arrière-pays, au regard de la façade littorale atlantique entre Bayonne et Mimizan, le territoire des Communautés de communes de MACS (Maremne Adour Côte-Sud) et du pays d’Orthes et Arrigans s’appuie sur un réseau routier structurant et un réseau routier secondaire fin pour connecter entre eux les différents pôles (Bayonne, Cap Breton, Soorts-Hossegor, Seignosse, Dax…) et assurer son accessibilité et les conditions de son développement socio-économique. Ces routes se diffusent dans un ensemble de paysages contrastés : espaces dunaires, puis boisements résineux dominant en bordure littorale et se développant au Nord de la vallée de l’Adour, prairies et terres cultivées plus nombreuses au Sud. Cette vallée fluviale et encore plus la RD810 et la RD824 doublée par l’autoroute A63 marquent un fort contraste entre des paysages forestiers et agricoles, fermés ou plus ouverts. Le réseau routier se présente sous forme d’un maillage plus important au sud, coupant et recoupant les nombreuses vallées.
C’est aussi dans la partie sud que sont recensés les espaces naturels d’intérêt écologique avec les sites Natura 2000 (Directive Habitat et Oiseaux des sites « Barthes de l’Adour »), complétés par les ZNIEFF couvrant la vallée et ses affluents.
Les barthes de l’Adour – nom de la vallée alluviale entre Dax et Bayonne – sont des terres qui ont été asséchées ou conquises sur l’eau à partir du 17ème siècle, par la canalisation de l’Adour, avec des digues et des ouvrages hydrauliques importants. Restant des milieux prairiaux, ces terres irriguées la majorité de l’année ont changé de statut d’usage – celui-ci est devenu très intensif – et continuent à subir un asséchement accru. Effet climatique et actions anthropiques directes se conjuguant, le résultat est immédiatement lisible sur le paysage dès le début d’été, avec des étendues jaunies et des fenaisons précoces.
Dans le secteur des gaves et des vallées aussi à fond plat du plateau de Tursan, les cours ont des vallées souvent dissymétriques dont la face douce est perturbée par les activités et voies. L’expansion des eaux est réduite et le paysage entravé, ne laissant plus de lisibilité entre espaces ouverts et fermés.
Les routes et les voies ferrées empruntent historiquement les structures géomorphologiques du territoire (les vallées, les rebords de plateau, etc.) tout en constituant dans certains cas des ruptures écologiques marquées. Ces flux (énergie, transport, communication, déchets) sont d’une importance vitale dans la vie quotidienne et économique de ces territoires d’arrière-pays mais aussi pour les territoires voisins et plus lointains dont l’approvisionnement dépend. L’organisation et le fonctionnement de ces territoires entièrement sous l’emprise du pétrole constituent des facteurs de vulnérabilité face à une crise majeure, et ce d’autant plus que ces réseaux sont relativement intégrés ou absorbés par l’organisation fonctionnelle du territoire. On observe ici clairement les marques de l’ère de l’anthropocène comme l’écrivait Buffon dans Les Époques de la Nature en 1778 : « La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme » et nous devons trouver une nouvelle politique de la terre. Dans le cadre de l’Atelier, il est prévu d’interroger d’une part l’aptitude de ce territoire à voir muter ses modèles de gestion des terres alluviales qui impactent significativement les paysages à plus ou moins grande portée, et d’autre part ses raisons et modèles de déplacement sur les tracés existants en adoptant une posture de résilience active.
Nous proposons la notion d’ « éco-paysages », pour définir une unité de territoire composée par la géographie (topographie, sous-sols, sols…) et l’écosystème naturel présent plus ou moins organisé et transformé par les actions humaines passées et actuelles. Cette notion permet une catégorisation de l’espace, ne rendant qu’imparfaitement compte de la complexité des lieux, mais proposant une approche pluridisciplinaire, indispensable pour se projeter en prenant en compte les effets du climat à 2050 et à des horizons plus lointains.
En effet, les effets à venir étant inéluctables, on cherchera à identifier des leviers pour les réduire, en agissant sur les déplacements et sur la gestion des éco-paysages.
La résilience sur un territoire relativement peu exposé aux risques majeurs
Le territoire de l’Atelier, notamment dans la vallée de l’Adour et jusqu’au Labourd (très lié à la côte urbanisée), est peu soumis aux risques naturels majeurs. Les vulnérabilités restent limitées avec peu de zones à risque d’inondation. Celles-ci, contrôlées et gérées depuis longtemps dans la vallée de l’Adour, sont exemptes d’enjeux urbains. De la même manière, il y a peu de zones exposées au risque d’incendie malgré une forte présence de la forêt dominée par des pins. Du fait des faibles densités de population (moins de 110 hab/km²), le risque de pandémie y est plus réduit que dans les zones denses…
On peut pourtant identifier la présence de situations de fragilité liées à l’hyper-dépendance à l’automobile qui créent des vulnérabilités à court terme (isolement des personnes non motorisées notamment des aînés ou des plus précaires) et des risques à moyen-long termes induits par la raréfaction et le renchérissement prévisibles des énergies carbonées. La vulnérabilité du territoire s’observe aussi avec la dégradation progressive de la mosaïque de milieux de la vallée qui abrite une faune et une flore remarquables typiques des zones hu-mides. Entre les barthes hautes qui s’assèchent vite et les barthes basses alimentées par les eaux de ruissellement des coteaux, les remontées de la nappe alluviale, le débordement des canaux, le débordement de l’Adour ou du Luy, les effets climatiques vont tendre à aggraver les situations localement à risque. L’étude des éco-paysages montre une certaine uniformisation et banalisation par des pratiques agricoles assez intensives et par endroit une urbanisation dans les lits des vallées. Aussi, les variations des niveaux d’eau liées au phénomène de marées ressenties jusqu’à la confluence du Luy s’accentuent avec le changement climatique. Les vallées des gaves et de leurs affluents, du fait de leur artificialisation et des pratiques agricoles ne disposent plus de zones d’expansion suffisamment libres et perméables.
La biodiversité est de plus en plus sous pression. La gestion intensive des espaces agricoles se traduit par un accroissement des prairies artificielles (même si la polyculture-élevage domine encore). Les espaces naturels, quant à eux, tendent à se dégrader entre autres en raison de la régression de la tradition de gestion des bois de bord d’eau, une faible place laissée aux lisières et écotones eau/prairies/cultures/boisement. Ces pratiques entraînent une simplification des paysages et risquent d’accélérer les effets du changement climatique.
Face à ces enjeux, il est impératif de trouver des solutions pour améliorer la résilience des éco-paysages mais aussi produire des aménagements et infrastructures de transports plus respectueux des territoires et même contribuant à leur valorisation : en offrant la place aux différents modes (voitures, vélos, parkings relais, navettes dédiées…) sur des axes qui devront s’adapter pour rendre possible leur cohabitation ; et, parallèlement, en favorisant la biodiversité et l’évolution des pratiques agricoles. Ces deux angles d’analyse se croisent dans le projet de construction d’un territoire des distances raccourcies : pour les déplacements, avec des aménagements désimperméabilisés et confortables, sécurisés et suffisamment ombragés avec des plantations bien intégrées à l’écosystème local ; ainsi que pour les productions vivrières et arboricoles locales (circuits courts) bénéficiant des services écosystémiques apportés par la nature (meilleure pollinisation, disponibilité des eaux pluviales, limitation des ruissellements, etc.). La réflexion sur les éco-paysages pourra aussi conduire à étudier l’intérêt de réaffecter certains itinéraires routiers au profit des modes actifs, sur des parcours adaptés aux besoins de la population résidente ou, le cas échéant, des touristes. Ce changement d’usage constituerait aussi un moyen de retrouver une nature plus sereine (limitation des coupures des trames écologiques et des végétaux moins sous pression de l’entretien routier notamment).
Les éco-paysages ne représentent bien évidemment qu’une approche partielle des enjeux du territoire, même s’ils impliquent une part importante de sa dynamique économique, touristique et sociale. Un paysage résilient serait ici celui qui absorberait mieux les changements grâce à une stratégie de développement qualitatif en termes d’économie comme de cadre de vie fondée sur une approche systémique. À titre d’exemple, l’accès à la réserve naturelle du Marais d’Orx à partir de la gare de Bayonne pourrait être reconsidéré pour trouver un itinéraire direct et simple par le train et une véloroute sur des chemins existants de la plaine. Un aménagement similaire avec des replantations d’arbres pourrait être imaginé sur le chemin de halage de l’Adour
Faire émerger un nouveau paysage à vivre en territoire rural
L’exercice qui va être mené dans le cadre de l’Atelier et enrichi de l’expertise des acteurs locaux vise à placer l’éco-paysage au cœur de la réflexion pour apprendre à regarder la nature, les espaces et les usages selon une approche intégrée afin de faire évoluer les choix et modes d’aménagement de ce territoire majoritairement rural.
Nous savons que la résilience ne se décrète pas, qu’elle peut s’inscrire dans une approche de l’espace high-tech à la Vincent Callebaut1 ou inspirée des « smart cities » ou de manière plus adaptée du «smart rural»2. Être « smart », ce n’est pas une simple expression de marketing territorial, c’est se poser une série de questions sur l’avenir du territoire, ses conditions d’existence et de développement, sur les moyens de fonctionner mieux et collectivement demain. Les outils technologiques peuvent être mobilisés dans la conception d’un territoire à travers des simulations numériques visant à comprendre les impacts prévisibles sur l’environnement, les paysages ou l’agriculture et les risques associés. Mieux appréhender les éco-paysages pour mieux les aménager, par exemple dans la traversée de chacun des barthes ou des boisements, pour respecter les écoulements ou les lisières. Le smart offre aussi toute une gamme de solutions pour rendre efficaces les trajets et les modes de transport particulièrement importants, par exemple, pour tous les enfants et adolescents qui se rendent au collège ou au lycée, par des cars mais aussi dans la voiture de leurs parents.
Le smart peut être une composante de la résilience porteuse de valeurs positives (anticipation, adaptation, partage, transversalité, innovation, compétitivité…) propres à susciter l’adhésion des acteurs du territoire. Cette stratégie de mise en mouvement du territoire nécessite une implication forte et quotidienne des acteurs locaux ainsi qu’une mutualisation des métiers pour mettre en commun des valeurs, des ressources et des moyens. Le smart est souvent initié d’en haut du fait de l’apport d’ingénierie ou des financements spécifiques qu’il peut mobiliser (programmes du Réseau rural français par exemple) mais doit avant tout s’appuyer sur des projets concrets locaux, que l’Atelier des territoires doit aider à faire émerger.
La qualité des lieux de vie de l’arrière-pays landais n’a rien à envier au littoral, il présente même des composantes, des connexions, des réseaux, des ressources qui peuvent construire des trajectoires spécifiques de développement intelligent. À ce titre, la création d’un centre de télétravail multigénérationnel, positionné proche d’un espace de covoiturage, sur une véloroute rurale et en connexion avec des lieux de distribution et de vente de produits locaux peut-elle avoir du sens ? L’hypothèse, assez générique à ce stade, méritera d’être testée avec les acteurs locaux et adaptée le cas échéant dans le cadre de l’Atelier. Le numérique est clairement une ressource pour aider à structurer ces projets émergents sur le territoire et leur donner une viabilité économique, que l’on pense à la promotion des productions locales ou à la valorisation des espaces naturels à des fins récréatives ou touristiques.
La capacité du système éco-paysager des territoires ruraux landais à se régénérer sur un temps plus ou moins long par le développement de synergies entre paysages, nature, agriculture mérite d’être soutenu, autant que sa capacité à apprendre, s’adapter et s’autoorganiser notamment par des smart technologies.
Sous l’angle écologique, nous proposons d’établir un dialogue constructif entre les différents acteurs du monde agricole, de la gestion des espaces forestiers et prairiaux et des réseaux de distributeurs et consommateurs locaux pour maintenir, voire favoriser la qualité des paysages de vallée.
Marine Linglart URBAN-ECO
Extrait de la lettre de capitalisation n°2
[1] Par exemple dans la conférence «Construisons le futur». Inov’dia. La Roche-sur-Yon, 2020. Qui dit quoi ?
[2] Ruralité – Environnement – Développement, 2014.