Il y a deux ans, Sophie Free et Fabien Hicauber lançaient une épicerie participative à Azur. Un pari un peu fou dans ce village typique des Landes de moins de 900 habitants. Aujourd’hui pourtant, le projet compte plus d’une soixantaine d’adhérents. C’est fort de cette expérience que Fabien a participé à l’Atelier des territoires pour rencontrer d’autres acteurs en quête de solutions pour favoriser la consommation locale et limiter les déplacements inutiles.
Au moment de leur installation à Azur, le couple de trentenaires se retrouve face à un dilemme : comment continuer à manger local alors qu’il n’y a pas de commerce de bouche de proximité ? Faut-il repartir vers les grandes surfaces ? Le couple, qui ne s’y résout pas, décide, avec le soutien du maire de l’époque, de se lancer dans le projet d’une épicerie participative (1).
Privilégier la pédagogie à la radicalité
Après deux réunions publiques et des échanges avec d’autres habitants de la commune et des environs déjà engagés dans des dynamiques citoyennes, un groupe d’une dizaine de personnes se fédère autour du projet d’épicerie participative. Tous les lundis soir, ces habitants en esquissent les grandes lignes. Deux types de participants se retrouvent : ceux qui s’identifient au projet pour sa dimension engagée (consommer local et mieux, favoriser les circuits courts) et ceux qui ont avant tout envie d’une épicerie dans le village pour éviter d’avoir à se déplacer. Le croisement de regards entre les militants et les pragmatiques (en majorité des habitants de plus de 70 ans) a été très utile et a permis que l’épicerie réponde aux besoins des uns et des autres : manger local et de saison, ça s’accompagne ! « Nous nous sommes beaucoup appris mutuellement », résume Fabien. En privilégiant la pédagogie à la radicalité : « on n’a pas tout de suite banni le Nutella des rayons, mais progressivement, on l’a remplacé par une pâte à tartiner française sans huile de palme, en expliquant pourquoi cette alternative est meilleure pour la planète et l’économie locale ».
Le premier confinement vient donner un coup d’accélérateur. Fabien raconte comment « les producteurs locaux se sont retrouvés en galère » pour écouler leur production, notamment pour ceux qui travaillaient avec la restauration collective. Le local n’est pas encore trouvé, mais qu’à cela ne tienne : un groupement d’achat est mis en place via le site Cagette.net. Le retrait hebdomadaire des produits dans une salle du comité des fêtes connaît un vrai succès : 90 distributions par semaine ! L’installation de l’épicerie elle-même suit, provisoirement dans le local du comité des fêtes puis depuis janvier 2021 dans un Algeco de 50 m2 loué à la mairie. Aujourd’hui, 60 ménages de la commune et des villages voisins sont adhérents (2). La crise COVID a cristallisé un désir fort des habitants de consommer local, de mieux manger, de moins se déplacer…
L’Atelier des territoires, passerelle entre acteurs engagés et en quête de solutions
Alors, quand Fabien a été invité à participer à une réunion sur la mobilité dans le cadre de l’Atelier, il a apprécié cette occasion de rencontrer d’autres acteurs qui cherchent des solutions pour limiter les déplacements inutiles ou trouver des alternatives à l’auto-solisme. Cela lui a permis de se rendre compte qu’ils vivaient le même paradoxe : « un producteur de kiwis nous a expliqué que cela lui revient moins cher d’envoyer ses kiwis à l’étranger que de les vendre localement. Avec l’épicerie, on a le même problème : c’est globalement moins cher d’acheter des produits qui viennent de loin ». L’Atelier a permis cette mise en lien, pour trouver des solutions ensemble, en élargissant le cercle : épicerie participative, producteurs, association d’insertion pour assurer le transport. Fabien et Sophie en sont convaincus : dans le département des Landes, vaste et rural, avec peu de solutions de mobilité à part la voiture, « beaucoup de gens seront ravis si on trouve des solutions pour limiter nos déplacements en voiture. Il faut agir à l’échelle collective ». Et c’est bien le projet de l’épicerie participative : centraliser les denrées notamment alimentaires des producteurs locaux pour éviter que les gens parcourent des kilomètres. D’où l’idée d’une centrale d’achat.
S’appuyer sur le pouvoir d’agir des citoyens
Des initiatives citoyennes comme celle-ci sont- elles un levier pour la transition écologique des territoires ? Assurément oui. « La clé, c’est de créer le projet avec les futurs utilisateurs : les gens impliqués s’investissent davantage, sont plus convaincus et convaincants ».
Changer nos manières de vivre ne peut pas venir d’une injonction « d’en haut, sinon le risque de rejet est fort, c’est vécu comme une contrainte ». À Azur, le groupe d’habitants qui a porté l’épicerie participative a d’autres envies : un bar associatif, des jardins partagés, etc. Et d’autres communes avoisinantes se lanceraient bien dans des projets semblables : « On va essayer de mettre en commun la logistique, avec une centrale d’achat pour plusieurs épiceries participatives. Cela résoudra peut-être le problème du producteur de kiwis ». Fabien et Sophie reconnaissent que le coup de pouce des collectivités est nécessaire et bienvenu, mais parient sur les projets citoyens pour construire un monde plus durable : « ne pas courir à la recherche d’innovations à tout prix, mais aider les citoyens à monter des projets simples, en y allant étape par étape ». Et de parier sur la contagion positive !
Judith Ferrando
Extrait de la lettre de capitalisation n°3
(1) Les épiceries participatives sont organisées sous la forme juridique d’une association, dans laquelle les adhérents s’engagent à travailler quelques heures par mois pour assurer le fonctionnement de l’épicerie.
(2) L’adhésion répond à 3 critères : un droit d’entrée (une avance) de 100 € (pour le fonds de trésorerie de l’épicerie), une parti- cipation de 3 heures par mois à la tenue de l’épicerie, une cotisation mensuelle pour payer les charges.