Quels consensus pour adapter les modes d’habiter et de se déplacer dans les territoires peu denses ?

L’Atelier des territoires du 30 novembre 2021 a constitué le troisième temps fort d’une démarche visant à faire émerger progressivement un consensus entre les élus des EPCI de MACS et CCPOA[1] pour élaborer un projet de feuille de route visant à améliorer la vie au quotidien et en particulier les déplacements dans les territoires ruraux pour faire face au défi de la transition écologique. Une série de convergences/controverses illustrées a été projetée (dont une sélection est reprise ci-après), permettant d’aborder les sujets avec franchise et de trouver des consensus certes partiels mais dont les traductions promettent d’être concrètes pour la vie quotidienne des habitants du territoire. Le débat a ainsi réussi à dépasser la généralité du sujet et à interroger les spécificités du territoire, que ce soit en termes de modes de vie, de typo-morphologie, de paysage, ou de dynamiques locales. Quatre points de convergence ont été dégagés.

La bonne échelle pour traiter la question de la mobilité est celle du bassin de vie

Si le fait de se regrouper ne va pas suffire à résoudre tous les problèmes et à apporter l’ensemble des réponses aux besoins quotidiens des habitants de ces territoires, il est nécessaire de « voir plus large » qu’à l’intérieur des intercommunalités existantes. Il faut également en partie s’affranchir de l’effet de métropolisation de Dax et Bayonne qui structure et polarise le territoire, pour pouvoir développer des solutions adaptées à la mobilité dans le rural. La pertinence du périmètre du Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) Adour Landes Océanes[4] a été évoquée. Certains vont plus loin et imaginent même un interSCoT à l’échelle du PETR (qui a été décrété par la Région bassin de mobilité au sens de la loi LOM), pour traiter en cohérence le sujet de la mobilité et celui de l’aménagement.

Controverse proposée par l’Atelier : « Penser les deux territoires ensemble fait sens ». Illustration : Gaëlle Anastasio

Les élus sont bien conscients de cette relation mais ils sont confrontés à deux tendances et représentations dominantes : la préservation de l’identité et de la morphologie des villages, qu’ils pensent pouvoir difficilement être densifiés en multipliant les étages comme dans les villes moyennes, et le besoin grandissant des habitants d’accéder à la propriété sur une parcelle à jardiner. L’habitat dans le sud des Landes est diffus. C’est historique et c’est ce qui plaît aux gens. L’injonction à changer de modèle ne suffit pas. On ne peut pas aller à l’encontre des modes de vie même si les comportements évoluent avec notamment l’arrivée de nouvelles populations, plus urbaines et sensibilisées aux problématiques écologiques. Par contre, de manière pragmatique, on peut chercher comment réduire la taille des parcelles ou inciter les habitants à ne pas artificialiser leur jardin, etc. L’explosion des surfaces bétonnées dans les jardins privés est à ce titre un défi environnemental d’envergure dans le département des Landes où l’artificialisation des sols est particulièrement significative. En ce qui concerne l’intensification des centres villageois, la ZAC multisites est un outil intéressant pour concevoir une opération d’ensemble, mais insuffisant car il ne permet pas de traiter l’urbanisation d’initiative privée. Par ailleurs, cet outil nécessite d’importants moyens financiers notamment pour acquérir le foncier. Les communes et intercommunalités sollicitent l’aide de l’État sur des dispositifs de défiscalisation afin d’encourager les acteurs privés à prendre en charge certains projets de reconversion de friches urbaines. Il existe déjà des dispositifs d’aide mis en place par l’Etat à travers le Fonds « friches » dans le cadre de France Relance ou localement par le Département des Landes, à travers la SATEL[3] et l’ADACL[4]. Ces outils pourraient être davantage utilisés. Car àdéfaut de se doter des moyens d’intervenir sur de la requalification ou du recyclage fonciers, c’est l’étalement qui prime…

Controverse proposée par l’Atelier : « Le problème de mobilité est d’abord un problème d’aménagement ». Illustration : Gaëlle Anastasio

Sur le sujet de l’étalement urbain, les élus des bourgs de taille conséquente apparaissent plus volontaristes que ceux des « petits villages ». Pour eux, « les lotissements, c’est fini » et « il y a nécessité de travailler sur de petits collectifs » dotés de jardins partagés. Car selon leurs propres termes, « comment loger les jeunes sur place », sinon ? 

D’autres proposent une voie différente pour faire évoluer l’offre de logements vers une meilleure satisfaction des besoins actuels : le développement de l’habitat partagé dans les anciens corps de ferme ou la réhabilitation de l’habitat ancien. Certains centres-villes, comme celui de Peyrehorade, présentent par exemple une importante vacance qu’il pourrait être stratégique de transformer en « ressource » : les 108 logements non habités pourraient ainsi permettre de loger environ 400 personnes !

Tous les participants de l’Atelier s’accordent sur la nécessité de mieux accompagner le besoin des habitants existants ou futurs en réinventant l’offre de logements. Notamment, on observe  un manque de logements en location pour les actifs qui viennent travailler sur le territoire. Les entreprises sont présentes mais peinent à recruter du fait de la pénurie en produit locatif. Cela touche particulièrement les adultes en reconversion professionnelle et les jeunes apprentis, qui n’ont pas les moyens de se loger à proximité de leur emploi à travers les mécanismes habituels du marché immobilier.

La dépendance à la voiture n’est pas une fatalité

Sur ce sujet, l’Atelier a poussé une idée concrète : on peut trouver le moyen de se déplacer à plusieurs dans un véhicule individuel même dans des espaces de faible densité. Les communes des Landes sont ainsi toutes connectées à des voies départementales, ce qui devrait faciliter le développement du covoiturage même si cela ne suffit pas. Il faudrait s’appuyer sur d’autres facteurs facilitateurs : la couverture numérique qui permet l’usage d’applications dédiées à la mobilité, l’intensité des flux sur certains créneaux horaires pour accroître la masse critique rendant possibles les mobilités partagées, la culture de la solidarité dans le territoire, l’ouverture des jeunes à de nouveaux usages comme par exemple de prendre le train. L’autostop « encadré » est une autre piste. C’est une question de culture à développer. Les élus se déclarent prêts à accompagner les habitants et actifs dans leur changement de pratiques.

Controverse proposée par l’Atelier : « L’autostop est adapté au territoire ». Illustration : Gaëlle Anastasio

On peut aussi développer les voies vertes en s’entendant avec les propriétaires terriens En ce qui concerne le transport à la demande, les usagers sont très satisfaits, même si le dispositif mériterait d’être étendu à d’autres trajets. Un travail doit être fait pour que cet outil soit au service de tous, y compris des jeunes. Pour cela, le fonctionnement doit être plus flexible, notamment en ce qui concerne les arrêts, qui devraient être plus nombreux ou « à la carte ».

Controverse proposée par l’Atelier « Le transport à la demande contribue à mieux vivre dans le rural ». Illustration Gaëlle Anastasio

La réintroduction du vélo sur les routes est possible

Pour rendre ces territoires cyclables, il faut changer de mentalité. « Aujourd’hui, quand on est en voiture, on n’accepte pas le vélo, et quand on est en vélo, on ne veut pas de la voiture ! » entend-on chez certais élus. La question de la sécurité des cyclistes est essentielle et passe par une acceptation de ce mode de transport par les automobilistes. Dans certains secteurs, il est indispensable d’aménager des pistes cyclables sécurisées ; dans d’autres, il suffirait de rouler autrement : véloroutes, chaucidou[5]… Il est également possible de rouler le long des autoroutes, sur les délaissés. On peut aussi, à moindre coût, utiliser des cheminements existants qui sont déjà praticables en l’état. Il suffit de les signaler. Aménager des pistes cyclables par acquisition de foncier privé coûte cher, ce qui nécessite une volonté politique forte pour mobiliser le budget nécessaire. La démocratisation du vélo électrique pourrait aussi changer la donne : l’augmentation du nombre de cyclistes justifierait alors la réalisation de pistes cyclables. La mise en place d’un dispositif de location de vélos permettrait aussi aux habitants de « s’y mettre ». Il existe également d’autres solutions : négocier des conventions d’usage avec les propriétaires fonciers, dessiner des aménagements légers à l’image des pistes Covid réalisées en une nuit…

Le débat lors de l’atelier 3 s’est achevé sur le constat d’un émiettement des compétences et d’un manque de coopération entre les institutions en charge des mobilités, au détriment des usagers… C’est un enjeu bien identifié pour la Région Nouvelle Aquitaine qui se positionne en ensemblier à travers de futurs « contrats de mobilité »[6].

Ces contrats sont expérimentaux. La Région a déjà annoncé qu’elle appuierait notamment le développement de services de mobilité locale (transport à la demande, covoiturage dynamique, vélo longue durée, autopartage…), mais elle ne s’interdit pas de réfléchir aussi à « l’atterrissage » de ces services sur le territoire, et donc à s’intéresser à l’aménagement (pistes cyclables, aires de covoiturage,…). Ce qui est certain c’est que le pilotage par la Région permettra d’associer les gestionnaires des infrastructures ferrées. Cela constituerait une avancée notable dans un territoire comme le sud des Landes, qui tire aujourd’hui insuffisamment parti de son réseau ferroviaire.

Pour autant, c’est bien aux collectivités de relever le défi le plus important : penser ensemble les mobilités, l’aménagement de leur territoire et les continuités écologiques à travers des projets concrets. Les projets de territoire dans lequel sont engagés les deux EPCI, et peut-être un futur interSCoT seraient l’occasion de transformer l’essai marqué pendant cet Atelier des territoires. 

Controverse proposée par l’Atelier : « Il y a un problème d’émiettement et de coopération entre les institutions en charge des mobilités ». Illustration Gaëlle Anastasio.

Huit axes stratégiques ont été proposés pour structurer le projet de feuille de route issue de l’Atelier des territoires :

  1. Aménager autrement pour réduire le besoin de mobilité et préserver les paysages
  2. Faciliter les usages alternatifs à la voiture
  3. Développer les services de proximité
  4. Accompagner les initiatives citoyennes
  5. Sensibiliser la population à d’autres mobilités que la voiture
  6. Inciter les employeurs à faciliter ou réduire les mobilités
  7. Affirmer et amplifier les rôles de chaque acteur de la mobilité
  8. Développer les solutions locales d’énergie décarbonée destinée aux usages de mobilité

Marie Evo, D&A

Extrait de la lettre de capitalisation n°4


[1] EPCI : Communauté de communes Maremne Adour Côte Sud ; Communauté de Communes du Pays d’Orthe et Arrigans 

[2] EPCI membres du PETR : Communauté de communes du Pays d’Orthe, Communauté de communes de Pouillon, Communauté de communes du Seignanx, Communauté de communes Maremne Adour Côte-Sud, Communauté d’Agglomération du Grand Dax.

[3] SATEL : Société d’Aménagement des Territoires et d’Equipement des Landes – société d’économie mixte dont les actionnaires majoritaires sont des acteurs publics (principalement le Département des Landes et la Caisse des Dépôts et Consignations).

[4] ADACL : Agence départementale d’Aide aux Collectivités locales.

[5] Le « chaucidou » est un néologisme issu de la contraction de « chaussées à circulation douce ». Il s’agit de routes composées d’une voie centrale pour les véhicules motorisés et de deux bandes latérales pour les piétons et les cyclistes. Les chaucidous sont limités au maximum à 70km/h et sont souvent limités à 50km/h.

[6] Dans le contexte de l’application de la Loi d’orientation des Mobilités (LOM) du 24 décembre 2019, de nouvelles coopérations vont devoir être imaginées entre institutions et collectivités locales. Ce n’est pas une mince affaire. Avec 40 réseaux de transport, 84 000 km2 et 153 intercommunalités, la Région Nouvelle Aquitaine est confrontée à des situations locales très diverses. Le 29 novembre 2021, le vice président Renaud Lagrave a présenté les nouveaux périmètres des bassins de mobilité et invité les communautés de communes à se porter candidates pour élaborer un Contrat opérationnel de Mobilité, un nouveau dispositif prévu dans la loi pour assurer la coordination au sein de chaque bassin. Il n’y en aura pas pour tout le monde… Avec la démarche Atelier des territoires, le bassin MACS-CCPOA-Grand Dax-Seignanx part avec un avantage !

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